Perdu en Bolivie : un documentaire autobiographique

Cédric Lépine, 11 de abril de 2014

Publicado originalmente en La Club de Mediapart

Dans le cadre de la programmation du festival international de films documentaires Cinéma du Réel, qui s’est déroulé du 20 au 30 mars 2014 à Paris, El Corral y el viento, de Miguel Hilari était présenté en compétition officielle en section « Premiers films ».

Non loin du lac Titicaca, à Santiago de Okola en Bolivie, le jeune réalisateur Miguel Hilari revient avec sa caméra dans le village de son père. Ici, point de retour régénérateur pour l’enfant qui est parti étudié à la ville, bien au contraire. Le constat est amer et encore plus pour le documentariste directement impliqué par ce qu’il voit et filme. Point de rencontre familiale mais en permanence l’absence d’une humanité qui aurait pu s’incarner dans une famille retrouvée. Ce constat d’un monde moribond n’est pas sans rappeler celui de Raymond Deardon retournant près de ses origines campagnardes dans sa trilogie sur le monde paysan. Mais la différence est que Miguel Hilari ne réalise guère de portrait mais ajoute des personnages devant sa caméra pour rendre compte d’un lieu. Le ton est ainsi donné dès la première séquence où le jeu d’un adolescent avec un animal devient de plus en plus cruel et le regard du spectateur à son égard de moins en moins compassionnel. Filmer la précarité avait aussi été le projet de Luis Buñuel avec son documentaire Las Hurdes. Ainsi, bien que filmant en un lieu isolé de Bolivie, Miguel Hilari, s’insère bien dans une cinématographie mondiale. En filmant une communauté restée en marge de l’ensemble d’un État, il interroge par là la cohérence de cette société. Conservant un regard autobiographique, les enjeux politiques ne sont pas explicites à première lecture. Usant de sa caméra comme un regard « objectif », on voit aussi dans ce documentaire l’interrogation de son rapport à lui-même : est-ce sa caméra et son projet de film qui fait qu’il ne fait plus partie de cette communauté et qu’il ne peut dès lors plus apparaître à l’écran ? Plus que des réponses, ce sont des questions que ce documentaire fait naître en nous.

Aussi ethnographique que théorique, ce film au cadre et aux durées très travaillées traduit de manière convaincante la recherche d’une place d’un être parmi son peuple, d’un filmeur aussi. Inconfortablement niché sur ce hameau venteux qui reste à peine celui de sa famille (seul son oncle y vit encore), Miguel Hilari tire de sa semi- extériorité une vision nuancée de l’acculturation des campesinos, les paysans indigènes. Tour à tour contemplatif et critique, il évite ainsi tout discours facile sur la déploration de l’exil ou l’étiolement d’une culture pour saisir de manière plus fine les fondements de ces phénomènes.